Un haut degré d’incertitude soutient la demande d’or

Yves Hulmann

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Selon Krishan Gopaul, analyste senior au World Gold Council, la demande en lingots est restée importante au 1er trimestre, tout comme celle de l’industrie.

©Keystone

La publication du rapport Gold Demand Trends (+LIEN: www.gold.org ) concernant le premier trimestre fournit de multiples informations sur les différents facteurs qui contribuent à soutenir ou réduire la demande d’or. Alors que le cours de l’or a bondi de 13,5% depuis janvier pour s’établir à 2341 dollars l’once lundi, l’envolée récente des prix de l’or est-elle avant tout due à des facteurs résultant de la dynamique propre des marchés financiers ou reflète-t-elle une hausse réelle de la demande physique pour ce métal précieux? Allnews.ch s’est entretenu avec Krishan Gopaul, analyste senior auprès du World Gold Council, une organisation basée à Londres.

La hausse des prix a dépassé celle de la demande

En tout, l’offre et la demande totale d’or s’est établie à 1238,3 tonnes d’or au premier trimestre 2024, soit une hausse de 3% comparé à la même période de l’an précédant (1206,4 tonnes). Au quatrième trimestre 2023, ce volume avait atteint un niveau un peu plus élevé, soit 1269,7 tonnes.

Comment expliquer la hausse d’environ 10% du cours de l’once d’or entre janvier et fin mars, alors que l’augmentation de la demande d’or n’a, elle, été que de 3% au cours du premier trimestre pour s’établir à 1238 tonnes? Pour Krishan Gopaul, il est important de garder à l’esprit qu’il existe de multiples facteurs qui influencent l’évolution du cours de l’or et que tous n’ont pas le même impact sur les prix. «Si l’on prend l’exemple de la bijouterie ce n’est pas l’évolution de la demande dans ce segment qui influence le cours de l’or à court terme. Au contraire, on observe même souvent que la demande pour la bijouterie tend plutôt à réagir aux variations des prix de l’or plutôt qu’elle ne contribue à influer sur le cours de l’or», analyse-t-il.

«Depuis environ 2010, ce sont avant tout les banques centrales issues de pays émergents qui ont conduit le mouvement en matière d’achats.»

Il n’est ainsi pas possible d’établir une relation de type «telle hausse de la demande d’or va se traduire par une augmentation du cours de l’or dans telle ou telle proportion». Il y a d’autres dynamiques à l’intérieur du marché qui peuvent avoir une influence sur le cours de l’or, souligne le spécialiste.

De plus, «les différentes composantes au sein de la demande d’or peuvent avoir une influence plus ou moins importante sur le cours du métal précieux. Il faut par exemple tenir compte de l’évolution des investissements ou de la demande de l’industrie», cite-t-il.  

L’essor de l’IA contribue aussi à augmenter la demande en or dans l’industrie

Au premier trimestre, les principales composantes de la demande en or ont été notamment la fabrication de bijoux (535 tonnes), la consommation de bijouterie (479 tonnes) ainsi que le total des lingots et pièces d’or (312,3 tonnes). A propos de l’industrie, le rapport mentionne l’augmentation de la demande pour l’or provenant du secteur des technologies (+10% à 78,6 tonnes), portée par le boom de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur de l’électronique, ainsi que de celle de l’électronique (+13% à 64,4 tonnes). Comment expliquer le lien entre les développements actuels liés à l’IA et la demande d’or? «Ce lien s’observe en particulier en ce qui concerne l’évolution de la demande d’or pour le domaine de l’électronique qui a progressé de 13% au premier trimestre en comparaison annuelle. Il faut se souvenir que le déploiement des solutions et équipements en lien avec l’IA a été mis en place très rapidement. ChatGPT a été lancé à fin 2022, soit il y a un peu plus de 18 mois. Cela a nécessité d’importants investissements dans des puces électroniques physiques ainsi que la fabrication de composants variés incluant de l’or», observe le spécialiste.

En ce qui concerne les achats d’or par des particuliers ou des investisseurs, on observe une évolution contrastée entre la demande pour des lingots d’or (Bars) en hausse de 20% au premier trimestre et des pièces d’or officielles (Official coins) en recul de 30%. Comment expliquer cet écart? «La différence représente la préférence pour les petits lingots d'or - d'un poids inférieur ou égal à 1 kilogramme - par rapport aux pièces d'or au cours du trimestre. Mais cela peut varier d'un marché à l'autre. Toutefois, l'essentiel est que la demande d'investissement pour les lingots et les pièces d'or reste saine», constate-t-il.

Banques centrales: les marchés émergents mènent la danse

Selon le rapport, les banques centrales ont renforcé leurs stocks d’or à hauteur de 290 tonnes au premier trimestre. Quelles banques centrales achètent le plus d’or actuellement? «Depuis environ 2010, ce sont avant tout les banques centrales issues de pays émergents qui ont conduit le mouvement en matière d’achats. Il s’agit en particulier des banques centrales chinoise, russe, turque ou indienne. Certaines banques centrales de pays développés à l’exemple de la Banque centrale de Singapour ont aussi acheté de l’or mais dans des quantités assez faibles. Dans l’ensemble, il s’agit d’achats provenant de pays largement diversifiés. Maintenant, il faut aussi diversifier entre les banques centrales responsables des achats les plus importantes et celles qui détiennent déjà des stocks considérables. C’est le cas par exemple de la Banque nationale suisse qui n’achète pas d’or mais qui en détient de grandes quantités.

Sorties de fonds du côté des ETF

Les ETF ou les produits similaires ont enregistré des sorties de fonds relativement importantes correspondant à près de 114 tonnes d’or au premier trimestre, le montant les plus important depuis un an à l’exception du troisième trimestre 2023 (sorties de 139 tonnes). «Ces sorties de fonds au premier trimestre sont plutôt inhabituelles. Historiquement, il y a une forte relation entre l’évolution des transactions d’or via des ETF et le prix de l’or. Il est donc difficile de comprendre pourquoi il y a eu d’importantes sorties du côté des ETF alors même que le cours de l’or n’a cessé de progresser au premier trimestre. Une hypothèse est peut-être que beaucoup d’investisseurs dans l’or via des ETF ont préféré prendre leurs bénéfices durant cette période. Néanmoins, si le cours de l’or continue d’évoluer à la hausse, l’intérêt à investir dans l’or via des ETF pourrait probablement reprendre», analyse-t-il.  

World Gold Council ne formule pas de pronostics à proprement parler au sujet du cours de l’or. Quels sont néanmoins les facteurs qui pourraient le plus influencer sur le cours de l’or ces prochains mois? Pour Krishan Gropaul, il est incroyablement difficile de formuler des pronostics au sujet du cours de l’or. Néanmoins, on peut citer plusieurs paramètres qui ont une influence déterminante, énumère-t-il. «Sur le plan économique, l’évolution de l’inflation a une grande influence aussi sur le cours de l’or. L’inflation a certes reculé ces derniers mois mais il y a une incertitude sur l’évolution à venir. C’est donc un facteur à suivre, d’autant plus que l’inflation sera déterminante pour les décisions prises par les banques centrales ces prochains mois», souligne-t-il.

Sur le plan géopolitique, les facteurs d’incertitude sont nombreux, allant des élections américaines à la guerre en Ukraine en passant par la situation au Moyen-Orient. «En général, un haut niveau d’incertitude est généralement un facteur qui soutient la demande pour l’or», constate Krishan Gopaul.  

Côté offre, il faudra tenir compte de l’extraction minière d’or mais aussi du recyclage. Des prix plus élevés incitent généralement les consommateurs à recycler davantage d’or. 

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